«L’empathie», «la confiance en soi», «le sens de l’effort», «la valeur de l’argent», «la prise en compte des biens communs». Dans cette série pratique, Le Figaro vous propose d’approfondir cinq grands piliers du développement de l’enfant. Chaque épisode verra intervenir un ou plusieurs chercheurs, un clinicien et des parents dont les témoignages et conseils permettront d’éclairer le sujet.
En 2021, Louise, illustratrice, est allée chercher son fils Taho, deux ans, à la crèche. «Il a tiré les cheveux d’un bébé», lui a appris l’assistante maternelle. Louise a eu un bref mouvement de panique. «Je ne supporte pas la violence et je me suis demandé ce que je devais faire.» Faire la morale à cet âge, c’est parler dans le vide (à tous les âges d’ailleurs, soutient le professeur Alan Kazdin). Louise décide alors de réaliser un dessin. Elle représente plusieurs scènes, un enfant qui dit bonjour, au revoir, merci, un enfant en train d’en taper un autre, à côté desquels elle place ou un smiley heureux ou un smiley furieux.
«On a collé le dessin dans l’escalier de la maison, à chaque fois qu’on allait se coucher, on passait devant et on rappelait les consignes à Taho. Pour moi, il était important d’agir vite», dit Louise.
Voir son enfant devenir un être malhabile socialement, inadapté est une crainte répandue chez les parents. «Mon fils de cinq ans mord, s’inquiète Leïla sur Instagram. Mon mari pense qu’il est méchant.» «Ma fille de quatre ans ignore ses copines au parc, j’ai honte quand elle leur dit hyper froidement “j’ai pas envie de jouer avec vous” en leur passant devant», raconte Astrid au Figaro.
Quoiqu’elles n’emploient pas le mot, ces mères souhaitent voir leur enfant se montrer empathique. Capable «de partager les états affectifs des autres, d’adopter leur perspective subjective et la motivation de se soucier de leur bien-être», explique Jean Decety, professeur à l’université de Chicago, auteur d’études sur la cognition sociale, la morale et l’empathie. En mesure de n’être ni le harceleur d’une cour de récréation ni le harcelé, exclu à la Elon Musk qui, dans sa biographie tout juste parue (Walter Isaacson, Fayard), raconte une enfance sans chaleur passée à se faire frapper par son père puis massacrer par de petits caïds parce que lui-même les taxait de crétins.
Un être capable d’aimer et d’être aimé.
Comment la développer
«L’empathie est un fondement crucial du développement, explique la pédopsychiatre et chercheuse Laelia Benoit. C’est un juste rapport à soi et aux autres.» «Elle contribue à vivre de façon harmonieuse avec les autres dont nous avons besoin tout au long de notre vie, complète Jean Decety. Elle motive les comportements prosociaux, facilite la coopération, la confiance et les sentiments d'affinité entre personnes, canalise l’égoïsme et les propensions agressives. Il est indispensable pour la survie d’avoir des expériences positives régulières et des relations sociales stables et réconfortantes. Il y a énormément de travaux à ce sujet.» Il renvoie à son étude Les origines naturelles du sens moral chez le petit enfant (Devenir, 2019).
Un enfant dénué d’empathie ou qui n’en est que chichement pourvu a en moyenne «de plus faibles capacités d’inhibition comportementale et une difficulté à établir des relations intimes durables.» Et tous ne seront pas Elon Musk à la tête d’un empire dans les voitures électriques et d’une fortune de 260 milliards.
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Si l’empathie, l’aptitude aux relations, constitue le socle d’une personnalité saine, comment la développer chez l’enfant ? D’abord en se disant qu’il en possède les rouages, «les mécanismes de l’empathie sont innés car ils ont été sélectionnés par l’évolution humaine, mais ils sont immatures», explique Jean Decety. Plus que l’apprendre ou la transmettre, il faut la stimuler. Quand l’enfant est très jeune, par un lien d’amour chaleureux, une relation «secure» dit la théorie de l’attachement du psychiatre John Bowlby.
«Bowlby s’est appuyé sur des travaux d’éthologues pour dire que l’attachement est un besoin primaire au même titre que boire et manger, explique Marie Danet, psychologue clinicienne, docteure en psychologie spécialiste de l'attachement. D’ailleurs, l’être humain crée le plus souvent des liens.» Nécessité vitale. «Même les enfants maltraités s’attachent à leurs parents, même si cet attachement n'est pas “secure”.» «Secure» signifie sécurisé, «insecure», l’inverse. Dans une relation «secure», l’enfant en larmes sait qu’il sera consolé. Et même si ça peut paraître paradoxal, les travaux de la psychologue Mary Ainsworth ont montré qu’il aura tendance à pleurer moins longtemps. Dans une relation «insecure», il hésite à manifester ce qu’il ressent ou le fait sans y mettre les formes. En frappant, en hurlant.
Pour construire une relation «secure» - le terme est agaçant mais personne n’emploie sa traduction française - avec un nouveau-né, il faut le cajoler, lui dire : tu n’es pas seul. Répondre à ses pleurs rapidement, le prendre dans les bras - les parents le font le plus souvent. «Et qu’ils soient rassurés, rassure Marie Danet, s’il leur arrive de temps en temps de ne pas répondre tout de suite à la demande d’un bébé, il n’en sera pas traumatisé. Les bébés sont des statisticiens. Pour construire un lien avec leurs parents ou figures d’attachement, ils se font une représentation de ce qu’il se passe le plus souvent.»
Quel est le rapport entre la théorie de l’attachement et l’empathie ? «Une relation “secure” avec nos figures d’attachement améliore la capacité à prendre en compte les besoins des autres car on est moins accaparé par son propre besoin de sécurité.»
Quelle éducation ?
L’éducation à base d’empathie est le credo de l’éducation positive qui a pioché dans les neurosciences et la neuropsychologie. Une fois passé les premiers mois, faut-il en adopter les principes pour stimuler l’empathie de son enfant ? L’encourager à exprimer ce qu’il ressent en utilisant, par exemple, une roue des émotions ? Bannir la punition ? Répéter les consignes à l’envi ? Jean Decety hésite. La définition de l’éducation positive n’est pas la même Outre-Atlantique qu’ici - en France, le mouvement éducatif est encore récent, très composite, ceux qui s’en revendiquent se contredisent entre eux.
Ce père de deux enfants plutôt réussis - l’un est pilote, l’autre biologiste moléculaire, les deux ont des amis, des relations plaisantes avec leurs parents - donne des conseils simples : «on développe l’empathie en étant à l'écoute, en parlant avec son enfant, en étant soi-même empathique. Mais exprimer de l’empathie, ce n’est pas laisser faire à l’enfant ce qu’il veut. Cette notion n’est pas la panacée. Elle n'est pas indispensable ou même souhaitable tout le temps.» Dans quels cas ne l’est-elle pas ? Quand elle se substitue au «raisonnement» ou aux «règles morales.» Se montrer empathique avec une figure ennemie n’est pas stratégique en terme de survie.
«Il faut être gentil, prendre le temps d’expliquer, mettre des limites aussi», considère Louise, la mère de Taho.» Le dessin qu’elle a fait pour lui ne règle le problème que par à-coups. «On vient de déménager et il s’est remis à taper. Alors on l’a ressorti, on ne compte pas le jeter.» Au Danemark, depuis 1993, les élèves reçoivent des cours d’empathie. Ils sont par exemple invités à apporter une peluche à ceux qui leur semblent tristes. Le 12 septembre, notre ministre de l’éducation Gabriel Attal a dit vouloir importer l’initiative en France.
À lire sur le sujet : L’attachement, un lien vital, de Nicole Guedeney (Yapaka, 2010)
À écouter sur le sujet : le podcast de la psychologue clinicienne Caroline Goldman, «Les aider à s’épanouir à l’école» (il aborde le thème de l’amabilité)
Quid de l’empathie chez les enfants autistes ?
Un stéréotype circule à l’encontre des personnes autistes et donc des enfants autistes. Incapables de reconnaître ou d’exprimer des émotions, ils seraient dénués d’empathie. «Ce n’est pas vrai, explique Laurent Mottron, psychiatre, spécialiste des recherches en neurosciences cognitives de l'autisme à l'Université de Montréal. Il est plus juste de dire que leurs signes de manifestation émotionnelle diffèrent de ceux de la norme. En règle générale, les autistes ont une réduction des mimiques faciales ce qui fait qu'ils ne vont pas montrer une contagion émotionnelle.»
L’empathie des enfants autistes ne prend pas la forme conventionnelle mais elle existe et nécessite les mêmes stimuli. «Ils sont câlins comme les autres enfants. Ils ont besoin de se blottir, d’être rassurés. Ils ont simplement du mal à “collaborer.” Un enfant autiste dont le père va vouloir jouer aux Lego risque fort de le repousser. La recherche a du mal à dire pourquoi. Ce qu’il est important de dire, c’est que les enfants autistes ne manifestent pas leur empathie mais n'en sont pas dénués. On le voit dans leur rapport avec les animaux.»
D’après une étude publiée en avril 2022 dans Scientific Reports «les personnes avec TSA n'éprouveraient paradoxalement pas de difficultés particulières à communiquer émotionnellement avec les animaux», et seraient «plus à même de rechercher et traiter des indices émotionnels sur les visages animaux que sur ceux humains».
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